Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des plus vigoureuses de ma jeunesse. Un tuteur a rendu son pupille idiot pour conserver la gestion de ses biens. Un hasard remet un instant au pupille l’usage de sa fortune, et, bien entendu, il fait des folies ; d’où le tuteur tire un bon argument pour qu’on lui rende le soin de son pupille !  !

Il ne s’agit donc plus de dire : A la porte les barbares ! mais : Plus de barbares ! Tandis qu’il y en aura, on pourra craindre une invasion. S’il y avait en face l’une de l’autre deux races d’hommes, l’une civilisée, l’autre incivilisable, la seule politique devrait être d’anéantir la race incivilisable, ou de l’assujettir rigoureusement a l’autre. S’il était vrai, comme le pense Aristote  (148), que, de même que l’âme est destinée a commander et le corps a obéir, de même il y a dans la société des hommes qui ont leur raison en eux-mêmes, et d’autres qui, ayant leur raison hors d’eux-mêmes, ne sont bons qu’à exécuter la volonté des autres, ceux-ci seraient naturellement esclaves ; i ! serait juste et utile pour eux d’obéir, leur révolte serait un malheur et un crime aussi grand que si le corps se révoltait contre l’âme. À ce point de vue, les conquêtes de la démocratie seraient)cs conquêtes de l’esprit du mal, le triomphe de la chair sur l’esprit. Mais c’est ce point de vue même qui est décevant : un progrès irrécusable a banni cette aristocratique théorie, et posé l’inviolabilité du droit des faibles de corps et d’esprit vis-à-vis des forts. Tous les hommes portent en eux les mêmes principes de moralité. Il est impossible d’aimer le peuple tel qu’il est, et il n’y a que des méchants qui veuillent le conserver tel, pour le faire jouer a leur guise. Mais qu’ils y prennent garde ; un jour la bête pourra bien se jeter sur eux. Je suis intimement convaincu pour ma part que, si l’on ne