Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/371

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vaut bien un autre ; car, à celui-là, on ne compte que les forces vives, ou plutôt on soupèse l’énergie que l’opinion prête à ses partisans : excellent criterium ! On ne se bat pas pour la mort ; ce qui passionne le plus est le plus vivant et le plus vrai. Ceux qui aiment l’absolu et les solutions claires en appellent volontiers au nombre ; car rien de plus clair que le nombre : il n’y a qu’à compter. Mais ce serait trop commode. L’humanité n’y va pas d’une façon aussi simple. On aura beau faire, on ne trouvera d’autre base absolue que la raison, et, avant que l’humanité soit arrivée à un âge définitivement scientifique, on n’aura d’autre criterium de la raison que le fait définitif. Le fait ne constitue pas la raison, mais l’indique. La meilleure preuve que l’insurrection de juin était illégitime, c’est qu’elle n’a pas réussi.

Il y a là une antinomie nécessaire, insoluble, et qui durera jusqu’à ce qu’une grande forme dogmatique ait de nouveau englobe l’humanité. Aux époques de scepticisme, quand les vœux aspirent à une nouvelle forme qui n’est pas encore éclose, personne n’ayant le mot de la situation, ne possédant la vraie religion, il serait abominable que tel ou tel, de son autorité individuelle, vînt imposer sa croyance aux autres. On ne déclare toutes les religions également bonnes que quand aucune n’est suffisante. S’il y avait une religion qui fut réellement vivante, qui correspondît aux besoins de l’époque, soyez sûr qu’elle saurait se faire sa place et que la nation ne marchanderait pas avec elle. L’indifférence est en politique ce que le scepticisme est en philosophie, une halte entre deux dogmatismes, l’un mort, l’autre en germe. Pendant cet interrègne, libre à chacun de s’attacher à toute doctrine, d’être suivant son goût pythagoricien ou platonicien, stoïque