Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/372

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ou péripatétique. Toutes les formes sont également inoffensives, et la seule tâche du pouvoir est de maintenir entre elles la police, pour les empêcher de se dévorer. Il n’en est pas ainsi dans les États dogmatiques, où il y a une raison vivante et actuelle, une doctrine hors de laquelle il n’y a point de salut. Forte de toute la vie de la nation, elle en est le premier besoin et le premier droit. Elle est en un sens supérieure a la loi politique, puisque celle-ci a en elle sa raison et sa sanction. Le gouvernement est alors absolu, et se fait au nom de la doctrine acceptée de tous. Tout fléchit devant elle, et le pouvoir spirituel, qui la représente, est autant au-dessus du pouvoir temporel que les besoins supérieurs de l’homme sont au-dessus des intérêts matériels, ou, comme on disait autrefois, que l’esprit est au-dessus de la chair. Et ce règne absolu n’est pas la tyrannie. La tyrannie ne commence que le jour ou la chaîne est sentie, où l’ancien dogme a vieilli, et emploie les mêmes coups d’autorité pour se maintenir. On est parfois injuste pour les persécutions de l’Église au moyen âge. Elle devait être alors intolérante ; car du moment qu’une société entière accepte un dogme et proclame que ce dogme est la vérité absolue, et cela sans opposition, on est charitable en persécutant. C’est défendre la société. Les guerres des Albigeois, les persécutions contre les vaudois, les cathares, les bogomiles, les pauvres de Lyon, ne me choquent pas plus que les croisades : c’étaient là réellement des errants, sortant de la grande forme de l’humanité, et quant aux hommes vraiment avancés du moyen âge, comme Scot Ërigène, Arnauld de Bresse, Abélard, Frédéric II, ils subissaient la juste peine d’être en avant de leur siècle. Ce qui fait que ces actes de l’inquisition du moyen âge nous indignent, c’est que nous les jugeons au