Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/379

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de n’avoir pas l’or et les cordons du grand seigneur ; mais il ne pardonne pas au penseur de lui être supérieur en intelligence, et il se croit au moins aussi compétent que lui en politique. Le peuple est bien plus indulgent pour les grands que pour les gens de classe moyenne qui sont instruits et éclairés. Ceux-ci lui paraissent sur le mcme niveau que lui, etil voit leur supériorité de mauvais œil. Le roi, la famille royale sont dieux pour lui, et il a la bonhomie de les aimer. Mais pour des bourgeois simples, que leurs talents ont portés au pouvoir, il faut que ce soient des voleurs, des intrigants. Les grands sont placés trop haut pour qu’il leur porte envie : la jalousie n’a lieu qu’entre égaux. Un gouvernement d’hommes sans nom est fatalement condamné à être soupçonné, calomnié. « Comment cet homme qui est mon égal a-t-il fait pour parvenir ? Il faut nécessairement que ce soit un malhonnête homme, autrement il me serait supérieur, ce qui ne peut pas être. Il a touché de près les deniers de l’État ; il doit y avoir pris quelque chose ; car si j’y étais, moi, je sais bien que j’en serais tenté ». Ainsi parle la vulgaire envie. Ces soupçons n’atteignent jamais ceux qu’on regarde comme d’une autre espèce et avec lesquels on a définitivement renoncé à se comparer. Me trouvant un jour avec des paysans, je remarquai qu’ils étaient très préoccupés de la légère indemnité accordée aux représentants ; ils marchandaient, chicanaient, trouvaient mauvais qu’ils la touchassent pendant leurs congés, alors, disaient-les, qu’ils ne travaillent pas ; et ces bonnes gens ne faisaient pas une observation sur les millions de la liste civile.

Certes, si tous étaient comme nous, non seulement le gouvernement serait plus facile, mais il serait à peine