Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/380

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besoin d’un gouvernement. Les restrictions gouvernementales sont en raison inverse de la perfection des individus. Or tous seraient comme nous, si tous avaient notre culture, si tous possédaient comme nous l’idée complète de l’humanité. Pourquoi toute liberté est-elle accompagnée d’un danger parallèle et a-t-elle besoin d’un correctif ? C’est que la liberté est pour les sages comme pour les fous. Mais quand tous seront sages, ou quand la raison publique sera assez forte pour faire justice des insensés, nulle restriction ne sera nécessaire.

Fichte a osé concevoir un état social si parfait que la pensée même du mal fût bannie de l’esprit de l’homme. Je crois comme lui que le mal moral n’aura signalé qu’un âge de l’humanité, l’âge où l’homme était délaissé par la société et ne recevait pas d’elle l’héritage religieux auquel il a droit. « Il y a des hommes, dit M. Guizot, qui ont pleine confiance dans la nature humaine. Selon eux, laissée à elle-même, elle va au bien. Tous les maux de la société viennent des gouvernements, qui corrompent l’homme en le violentant ou en le trompant. » Je suis de ceux qui ont cette confiance. Mais je crois que le mal ne vient pas de ce que les gouvernements violentent et trompent, mais de ce qu’ils n’élèvent pas. Moi qui suis cuitivé, je ne trouve pas de mal en moi, et spontanément en toute chose je me porte à ce qui me semble le plus beau. Si tous étaient aussi cultivés que moi, tous seraient comme moi dans l’heureuse impossibilité de mal faire. Alors il serait vrai de dire : vous êtes des dieux et les fils du Très-Haut. La morale a été conçue jusqu’ici d’une manière fort étroite, comme une obéissance à une loi, comme une lutte intérieure entre des lois opposées (151). Pour moi, je déclare que quand je fais bien, je n’obéis à