Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/430

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conçoivent rien de plus héroïque que d’y résister : aussi sont-elles surtout prisées dans les pays sensuels. Aux yeux d’hommes grossiers, un homme qui jeûne, qui se flagelle, qui est chaste, qui passe sa vie sur une colonne, est l’idéal de la vertu. Car lui, le barbare, est gourmand, et il sent fort bien qu’il lui en coûterait beaucoup s’il fallait vivre de la sorte. Mais pour nous, un tel homme n’est pas vertueux car, ces jouissances de la bouche et des sens n’étant rien pour nous, nous ne trouvons pas qu’il ait de mérite à s’en priver. L’abstinence affectée prouve qu’on fait beaucoup de cas des choses dont on se prive. Platon était moins mortifié que Dominique Loricat, et apparemment plus spiritualiste. Les catholiques prétendent quelquefois que la désuétude où sont tombées les abstinences du moyen âge accusent notre sensualité : mais tout au contraire, c’est par suite des progrès de l’esprit que ces pratiques sont devenues insignifiantes et surannées. Il faut détruire l’antagonisme du corps et de l’esprit, non pas en égalant les deux termes, mais en portant l’un des termes à l’infini, de sorte que l’autre s’anéantisse et devienne comme zéro. Cela fait, accordez au corps ses jouissances ; car les lui refuser, ce serait supposer que ces misères ont quelque valeur. La devise des saint-simoniens « Sanctifiez-vous par le plaisir », est abominable ; c’est le pur gnosticisme. Celle du christianisme « Sanctifiez-vous en vous abstenant du plaisir », est encore imparfaite. Nous disons, nous autres spiritualistes « Sanctifiez-vous, et le plaisir deviendra pour vous insignifiant, et vous ne songerez pas au plaisir. » La sainteté, c’est de vivre de l’esprit, non du corps. Des esprits grossiers ont pu s’imaginer qu’en s’interdisant la vie du corps, ils se rendaient plus aptes à la vie de l’esprit.