Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/435

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pect des choses ; c’est une façon de prendre le monde. Mais il se peut qu’un jour l’humanité arrive à un tel état de perfection intellectuelle, à une synthèse si complète, que tous soient placés au point le plus légitimement gagné par les temps antérieurs, et que tous partent de là d’un commun effort pour s’élancer vers l’avenir. Et cette harmonie se réalisera, non par la théocratie, non par la suppression des individus, non par ce Père-roi des saint-simoniens qui réglait la croyance comme tout le reste, mais par l’aspiration commune et libre, comme cela a lieu pour les élus dans le ciel. Lier des gerbes coupées est facile. Mais lier des gerbes vivantes chacune de leur vie propre ! Maintenant tous sont attelés au même char ; mais les uns tirent en avant, les autres en arrière, les autres en sens divers, et de ces efforts balancés, à peine sort-il une résultante caractérisée. Alors tous tireront dans le même sens ; alors la science maintenant cultivée par un petit nombre d’hommes obscurs et perdus dans la foule sera poursuivie par des millions d’hommes, cherchant ensemble la solution des problèmes qui se poseront. O jour où il n’y aura plus de grands hommes, car tous seront grands, et où l’humanité revenue à l’unité marchera comme un seul être à la conquête de l’idéal et du secret des choses (169) Qu’est-ce qui résistera à la science, quand l’humanité elle-même sera savante, et marchera tout d’un corps à l’assaut de la vérité ?

Pourquoi, dira-t-on, s’occuper de ces chimères ? Laissez là l’avenir et soyez du présent. Rien de grand, répondrai-je, ne se fait sans chimères. L’homme a besoin, pour déployer toute son activité, de placer en avant de lui un but capable de l’exciter. A quoi bon travailler pour l’avenir, si l’avenir devait être pâle et médiocre ? Ne vaudrait--