Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nos types si délicats ne se dessinent que bien plus tard.

Comme c’est l’éducation, la variété des objets d’étude qui font la variété des esprits, tout ce qui tend à faire passer tous les esprits par un moule officiel est préjudiciable au progrès de l’esprit humain. Les esprits, en effet, différent beaucoup plus par ce qu’ils ont appris, par les faits sur lesquels ils appuient leurs jugements, que par leur nature même (168). Les habitudes de la société française, si sévères pour toute originalité, sont à ce point de vue tout à fait regrettables. « Ce qui fait l’existence individuelle, dit madame de Staël, étant toujours une singularité quelconque, cette singularité prête à la plaisanterie : aussi l’homme qui la craint avant tout cherche-t-il, autant que possible, à faire disparaitre en lui ce qui pourrait le signaler de quelque manière, soit en bien, soit en mal ». Les natures vraiment belles et riches ne sont pas celles où des éléments opposés se neutralisent et s’anéantissent ; ce sont celles où les extrêmes se réunissent, non pas simultanément, mais successivement, et selon la face des choses qu’il s’agit d’esquisser. L’homme parfait serait celui qui serait tour à tour inflexible comme le philosophe, faible comme une femme, rude comme un paysan breton, naïf et doux comme un enfant. Ces natures effacées, formées par une sorte de moyenne proportionnelle entre les extrêmes, sont de nulle valeur à une époque d’analyse.

L’analyse, en effet, n’existe que par la diversité des points de vue, et à condition que la science complète soit épuisée par ses faces diverses à chacun sa tâche, à chacun son atome à explorer, telle est sa maxime. Ce qu’il faut dans un tel état, c’est la plus grande variété possible entre les individus ; car chaque originalité c’est l’esquisse d’un as-