Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/456

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et vivante, c’est-à-dire celle qui ne se trouve pas à l’aise.

Ce sera donc bien vainement que nos pères, devenus sages, nous prieront de ne plus penser et de nous tenir immobiles, de peur de déranger la frêle machine. Nous réclamons pour nous la liberté qu’ils ont prise pour eux. Nous les laisserons se convertir, et nous en appellerons de Voltaire malade à Voltaire en santé.

Réfléchissez donc un instant à ce que vous voulez faire, et songez que c’est la chose impossible par excellence, celle que depuis le commencement du monde tous les conservateurs intelligents ont tentée sans y réussir arrêter l’esprit humain, assoupir l’activité intellectuelle, persuader à la jeunesse que toute pensée est dangereuse et tourne à mal. Vous avez pensé librement, nous penserons de même ; ces grands hommes du passé que vous nous avez appris à admirer, ces illustres promoteurs de la pensée que vous répudiez aujourd’hui nous les admirerons, comme vous. Nous vous rappellerons vos leçons, nous vous défendrons contre vous-mêmes. Vous êtes vieux et malades, convertissez-vous ; mais nous, vos élèves en libéralisme, nous, jeunes et pleins de vie, nous à qui appartient l’avenir, pourquoi accepterions-nous la communauté de vos terreurs ? Comment voulez-vous qu’une génération naissante se condamne à sécher de dépit et de frayeur ? L’espérance est de notre âge, et nous aimons mieux succomber dans la lutte que de mourir de froid ou de peur.

Il y a quelque chose de vraiment comique dans cette mauvaise humeur qui s’est tout coup révélée contre les libres penseurs, comme si après tout le résultat de leurs spéculations leur était imputable, comme s’ils avaient pu faire autrement, comme s’il eût dépendu d’eux de voir les choses autrement qu’elles ne sont. On dirait que c’est par