caprice et fantaisie pure qu’ils se sont attaqués un beau jour aux croyances du passé, et qu’il eût dépendu de leur bon vouloir ou de la sévérité de la censure que l’univers fût resté croyant. Un livre n’a de succès que quand il répond à la pensée secrète de tous ; un auteur ne détruit pas de croyances ; si elles tombent en apparence sous ses coups, c’est qu’elles étaient déjà bien ébranlées. J’en ai vu qui, s’imaginant que le mal venait de l’Allemagne, regrettaient qu’il n’y eût pas eu une inquisition contre Kant, Hegel et Strauss. Fatalité ! fatalité ! Vous admirez Luther, Descartes, Voltaire et vous anathématisez ceux qui, sans songer à les imiter, continuent leur œuvre, et, s’il y avait de nos jours des Luther, des Descartes, des Voltaire, vous les traiteriez d’hommes antisociaux, de dangereux novateurs. Vous blâmez le xviiie siècle, qu’autrefois vous aimiez ; blâmez donc aussi la Renaissance, blâmez tout l’esprit moderne, blâmez l’esprit humain, blâmez la fatalité. Maudissez, sceptiques, maudissez à votre aise. Mais, quoi que vous fassiez, je vous défie de croire ; je vous défie d’engourdir l’esprit humain sous un charme éternel, je vous défie de lui persuader de ne rien faire, de rester immobile pour ne rien risquer ; car cela c’est la mort. Nous ne le supporterons pas nous crierons plutôt au peuple : « C’est faux, c’est faux ; on vous ment ! » que de tolérer cette irrévérencieuse façon de traiter la vérité comme chose inférieure en valeur au repos de quelques peureux.
Tout le secret de la situation intellectuelle du moment est donc dans cette fatale vérité : le travail intellectuel a été abaissé au rang des jouissances, et, au jour des choses sérieuses, il est devenu insignifiant comme les jouissances elles-mêmes. La faute n’en est donc pas aux événements