Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/469

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tifique qu’ils se sont formé. C’est là la planche de salut qui sauvera le siècle du scepticisme : on admet la certitude scientifique ; on trouve seulement que l’on possède cette certitude sur trop peu de sujets. L’effort doit tendre à élargir ce cercle ; mais enfin l’instrument est admis, on croit à la possibilité de croire. Ma conviction est qu’on arrivera, dans les sciences morales, à des résultats tout aussi définitifs, bien que formulés autrement et acquis par des procédés différents. Il y a des natures qui aiment à se torturer à plaisir et à se proposer l’insoluble. La morale et le sérieux de la vie n’ont pas d’autre preuve que notre nature. Chercher au delà et douter des bases de la nature humaine, c’est s’agacer à dessein, c’est s’irriter la fibre sensible pour le plaisir équivoque qu’on trouve à se gratter. Mauvais jeu que celui-là !

Les rieurs ne régneront jamais. Le jour n’est pas loin où tous ces prétendus délicats se trouveront si nuls devant l’immensité des événements, si incapables de produire, qu’ils tomberont comme une bourse vide. L’éternel seul a du prix ; or ces frivoles ne s’attachent qu’aux floraisons successives, sachant bien qu’ils passeront comme elles. Semblables aux estomacs usés qui se dégoûtent vite et pour lesquels il faut tenter sans cesse de nouvelles combinaisons culinaires, ils attachent tout leur intérêt à la succession des manières qui toutes les dix années se supplantent les unes les autres. Littérature d’épicuriens, bien faite pour plaire à une classe riche et sans idéal, mais qui ne sera jamais celle du peuple car le peuple est franc, fort et vrai ; littérature au petit pied, renonçant de gaieté de cœur à la grande manière de traiter la nature humaine, où tout consiste en un certain mirage de pensées et d’arrière-pensées : nulle assise, un miroitement continuel.