Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/470

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne s’agit plus de vérité, mais de bon goût et de bon ton. Il ne s’agit plus de dire ce qui est, mais ce qu’il convient de dire. « Qui ne croit rien ne vaut rien », a dit M. de Maistre. La vieille foi est impossible : reste donc la foi par la science, la foi critique.

La critique n’est pas le scepticisme, encore moins la légèreté. La critique est fine et délicate, subtile et ailée, sans être frivole. L’Allemagne a été durant un siècle le pays de la critique, et pourtant étaient-ce des hommes frivoles que Lessing, Kant, Hegel ? En France, on a peine à concevoir un milieu entre la lourde érudition du. xvii et la spirituelle et sceptique manière des critiques modernes (180). Quand on parle de sérieux, on se reporte au bon petit esprit de Rollin, qui n’est certainement pas ce qu’il nous faut. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas la bonhomie qui excite la défiance, parce qu’elle suppose courte vue. C’est la critique complète, à la fois élevée et savante, indulgente et impitoyable. Le bon esprit étroit est en France très dangereux, par le soupçon qu’il fait naître, et qu’on ne manque pas d’étendre à tout ce qui est dogmatique et moral. Ce dont on a le plus horreur en France, c’est d’être dupe. On aime mieux passer pour leste et dégagé que pour un honnête nigaud, et, du moment que l’on associe à la morale quelque idée de pesanteur d’esprit, c’est assez pour qu’on la tienne en suspicion. De là l’extrême rabais où est tombé le titre de bon esprit. Ce titre, qui devrait être le plus beau des éloges est devenu presque synonyme d’esprit faible, et est accordé avec une étrange libéralité ; on accorde, en effet, volontiers aux autres les qualités auxquelles on ne tient pas pour soi-même, et on pense qu’en accordant aux autres le bon esprit, on fera entendre qu’on est soi--