Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/479

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Prenons encore les trois premiers siècles de l’ère chrétienne. Où se passaient alors les grandes choses ? Où se fondait l’avenir ? Quels étaient les noms désignés aux respects des générations futures ? Étaient-ce Tibère et Séjan ? Etaient-ce Galba, Othon, Vitellius, qui occupaient vraiment le centre de l’humanité, comme on le croyait sans doute de leur temps ? Le centre du monde, c’était le coin de terre le plus méprisé de l’Orient. Les grands hommes marques pour l’apothéose étaient des croyants enthousiastes fort étrangers aux secrets de la grande politique. Cinq siècles plus tard, on ne nommera entre les hommes illustres de ce siècle que Pierre, Paul, Jean, Matthieu, pauvres gens qui, assurément, faisaient peu figure. Qu’aurait dit Tacite, si on lui eût annoncé que tous ces personnages qu’il fait jouer si savamment seraient alors complètement effacés devant les chefs de ces chrétiens qu’il traite avec tant de mépris ; que le nom d’Auguste ne serait sauvé de l’oubli que parce qu’en tête des fastes de l’année chrétienne on lirait : Imperante Cœsare Augusto, Christus natus est in Bethlehem Juda ; qu’on ne se souviendrait de Néron que parce que, sous son règne, souffrirent, dit-on, Pierre et Paul, maîtres futurs de Rome ; que le nom de Trajan se retrouverait encore dans quelques légendes, non pour avoir vaincu les Daces et poussé jusqu’au Tigre les limites de l’empire, mais parce qu’un crédule évêque de Rome du vie siècle, eut un jour la fantaisie de prier pour lui ? Voilà donc un immense développement, sourdement préparé durant trois siècles en dehors de la politique, grandissant parallèlement à la société officielle, persécuté par elle, et qui, à un certain jour, étouffe la politique, ou plutôt reste vivant et fort, quand le monde officiel se meurt d’épuisement. Si