Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/480

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saint Ambroise fût resté gouverneur de Ligurie, en supposant même qu’il eût eu de l’avancement, et fût devenu, comme son père, préfet des Gaules, il serait maintenant parfaitement oublié. Il a bien mieux fait de devenir évêque. Dites donc encore qu’il n’y a moyen de servir l’humanité qu’en se jetant dans la mêlée. Je dis, moi, au contraire, que celui qui embrasse de toute âme cet humiliant labeur, prouve par là même qu’il n’est pas appelé à la grande œuvre. Qu’est-ce que la politique de nos jours ? Une agitation sans principe et sans loi, un combat d’ambitions rivales, un vaste théâtre de cabales, de luttes toutes personnelles. Que faut-il pour y réussir, pour être possible, comme l’on dit ? une vive originalité ? une pensée ardente et forte ? une conviction impétueuse ? Ce sont là au succès d’invincibles obstacles ; il faut ne pas penser ou ne pas dire sa pensée ; il faut user tellement sa personnalité qu’on n’existe plus ; songer toujours à dire, non pas ce qui est, mais ce qu’il convient de dire ; s’enfermer en un mot dans un cercle mort de conventions et de mensonges officiels. Et vous croyez que ce sera de là que sortira ce dont nous avons besoin, une sève originale, une nouvelle manière de sentir, un dogme capable de passionner de nouveau l’humanité ? Autant vaudrait espérer que le scepticisme engendrera la foi, et qu’une religion nouvelle sortira des bureaux d’un ministère ou des couloirs d’une assemblée.

La plus haute question de la politique est celle-ci : Qui sera ministre ? Mais l’humanité sera-t-elle plus avancée, je vous prie, si c’est M.** ou M.*** qui tient le portefeuille ? Je vous affirme que M.*** sait tout aussi peu que M.** le fin mot des choses, que le problème ne sera pas plus près de sa solution qu’il ne l’était auparavant,