Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/490

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prie, se donner du respect ? Comment faire revivre par la réflexion ce qui avait pour condition essentielle l’absence de la réflexion ? L’enfant peut avoir peur de la figure qu’il a barbouillée ; mais, une fois qu’il en a ri, ne se rappellera-t-il pas toujours qu’il a barbouillé ce visage pour se faire peur à lui-même !

La condition essentielle d’un spectacle de marionnettes, c’est de ne pas apercevoir le fil. Les simples prennent la chose au sérieux, à peu près comme si ces pantins étaient des personnes réelles ; les habiles s’en amusent, lors même qu’ils verraient un peu le fil ; car après tout, ils savent fort bien qu’il y en a un. Mais si les demi-habiles ont le malheur de l’apercevoir, ils ont bien soin de se moquer du spectacle, pour prouver qu’ils ne sont pas dupes. Il en est ainsi du respect : le respect est naturel chez les simples ; les superficiels s’en défendent avec une fatuité très comique ; il renaît chez les sages par une vue supérieure. Les sages savent qu’il y a un fil sous tout cela, mais que ce n’est pas la peine de faire tant de fracas d’une découverte aussi simple. Les superficiels, au contraire, crient, tempêtent qu’il faut à tout prix délivrer l’humanité de ces préjugés. « Il faut avoir une pensée de derrière, dit Pascal, et juger du tout par là, en parlant cependant comme le peuple. » Mais, quand le nombre des finassiers est trop considérable, toute piperie devient impossible : car il devient alors de bon ton de faire le malin et de dire aux simples « Ah ! que vous êtes bons de vous y laisser prendre. » Alors il faut y aller simplement, et ne réclamer de respect que pour les choses réellement respectables. L’avènement de la bourgeoisie a opéré, il faut l’avouer, une grande simplification dans nos mœurs. Notre costume est bien étroit et bien artificiel comparé à l’ampleur