Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/495

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fond vrai de notre nature pour y écouter les instincts désintéresses, qui nous portent à savoir, à adorer et à aimer.

Voilà pourquoi l’homme sincère se passionne si fort et s’épuise en adorations devant la vie naïve, devant l’enfant qui croit et sourit à toute chose, devant la jeune fille qui ne sait pas qu’elle est belle, devant l’oiseau qui chante sur la branche uniquement pour chanter, devant la poule qui marche fière au milieu de ses petits. C’est que là le Dieu est tout nu. L’homme raffiné trouve niaises les choses auxquelles le peuple et l’homme de génie prennent le plus d’intérêt, les animaux et les enfants. Le génie, c’est d’avoir à la fois la faculté critique et les dons du simple. Le génie est enfant ; le génie est peuple, le génie est simple.

La vie brahmanique offre le plus puissant modèle de la vie possédée exclusivement par la conception religieuse, ou pour mieux dire sérieuse, de l’existence. Je ne sais si le tableau de la vie des premiers solitaires chrétiens de la Thébaïde, si admirablement tracé par Fleury, offre une telle auréole d’idéalisme. La vie brahmanique d’ailleurs a sur la vie cénobitique et érémitique cette supériorité, qu’elle est en même temps la vie humaine, c’est-à-dire la vie de famille, et qu’elle s’allie aux soins de la vie positive, sans prêter à ceux-ci une valeur qu’ils n’ont pas : l’ascète chrétien reçoit sa nourriture d’un corbeau céleste ; le brahmane va lui-même couper du bois à la forêt ; il doit posséder une hache et un panier pour recueillir les fruits sauvages. Les fils de Pandou, pendant leur séjour à la forêt, vont à la chasse, et leur femme Draupadi offre aux étrangers qu’elle reçoit dans son ermitage du gibier que ses époux ont tué. Les Vies des Pères du désert