Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/50

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peut appeler le hasard, c’est-à-dire à ce qui n’a pas de cause morale proportionnée à l’effet (4). La philosophie pure n’a pas exercé d’action bien immédiate sur la marche de l’humanité avant le xviiie siècle, et il est beaucoup plus vrai de dire que les époques historiques font les philosophies, qu’il ne l’est de dire que les philosophies font les époques. Mais ce qui reste incontestable, c’est que l’humanité tend sans cesse, à travers ses oscillations, à un état plus parfait ; c’est qu’elle a le droit et le pouvoir de faire prédominer de plus en plus, dans le gouvernement des choses, la raison sur le caprice et l’instinct.

Il n’y a pas à raisonner avec celui qui pense que l’histoire est une agitation sans but, un mouvement sans résultante. On ne prouvera jamais la marche de l’humanité à celui qui n’est point arrive à la découvrir. C’est là le premier mot du symbole du xixe siècle, l’immense résultat que la science de l’humanité a conquis depuis un siècle. Au-dessus des individus, il y a l’humanité, qui vit et se développe comme tout être organique, et qui, comme tout être organique, tend au parfait, c’est-à-dire à la plénitude de son être (5). Après avoir marché de longs siècles dans la nuit de l’enfance, sans conscience d’elle-même et par la seule force de son ressort, est venu le grand moment où elle a pris, comme l’individu, possession d’elle-même, où elle s’est reconnue, où elle s’est sentie comme unité vivante ; moment à jamais mémorable que nous ne voyons pas, parce qu’il est trop près de nous, mais qui constituera, ce me semble, aux yeux de l’avenir, une révolution comparable à celle qui a marqué une nouvelle ère dans l’histoire de tous les peuples. Il y a à peine un demi-siècle que l’humanité s’est comprise et réfléchie (6), et l’on s’étonne que la conscience de son