Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/51

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unité et de sa solidarité soit encore si faible ! La révolution française est le premier essai de l’humanité pour prendre ses propres rênes et se diriger elle-même. C’est l’avénement de la réflexion dans le gouvernement de l’humanité. C’est le moment correspondant à celui où l’enfant, conduit jusque-là par les instincts spontanés, le caprice et la volonté des autres, se pose en personne libre, morale et responsable de ses actes. On peut, avec Robert Owen, appeler tout ce qui précède période irrationnelle de l’existence humaine, et un jour cette période ne comptera dans l’histoire de l’humanité, et dans celle de notre nation en particulier, que comme une curieuse préface, à peu près ce qu’est à l’Histoire de France ce chapitre dont on la fait d’ordinaire précéder sur l’histoire des Gaules. La vraie histoire de France commence à 89 ; tout ce qui précède est la lente préparation de 89, et n’a d’intérêt qu’à ce prix. Parcourez en effet l’histoire, vous ne trouverez rien d’analogue à ce fait immense que présente tout le xviiie siècle des philosophes, des hommes d’esprit, ne s’occupant nullement de politique actuelle, qui changent radicalement le fond des idées reçues, et opèrent la plus grande des révolutions, et cela avec conscience, réflexion, sur la foi de leurs systèmes. La révolution de 89 est une révolution faite par des philosophes. Condorcet, Mirabeau, Robespierre offrent le premier exemple de théoriciens s’ingérant dans la direction des choses et cherchant à gouverner l’humanité d’une façon raisonnable et scientifique. Tous les membres de la Constituante, de la Législative et de la Convention étaient à la lettre et presque sans exception des disciples de Voltaire et de Rousseau. Je dirai bientôt comment le char dirigé par de telles mains ne pouvait d’abord être si bien conduit que quand il marchait tout