Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/523

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à admettre le miracle que dans l’antiquité. Des récits qui feraient sourire, si on les donnait comme contemporains, passent grâce à la fantasmagorie de l’éloignement. Il semble qu’on admette tacitement que l’humanité primitive vivait sous d’autres lois que les nôtres.

(19) C’est chose merveilleuse comme chaque nation se reflète naïvement dans la physionomie de ses miracles. Comparez le miracle des Hébreux grave, sévère, sans variété comme Jehova ; le miracle évangélique bienfaisant et moral, le miracle talmudique dégoûtant de vulgarité, le miracle byzantin terne et sans poésie, le miracle du moyen âge gracieux et sentimental ; le miracle espagnol et jésuitique, matérialiste, amollissant, immoral. Cela n’est pas étonnant, puisque chaque peuple ne fait que mettre en scène dans ses miracles les agents surnaturels du gouvernement de l’univers, tels qu’il les entend ; or ces agents, chaque race les façonne sur son propre modèle.

(20) Déjà l’étude de la science et de la philosophie grecques, avait produit chez les musulmans au moyen âge un résultat analogue. La plupart des philosophes arabes étaient hétérodoxes ou incroyants. Averroès peut être considéré comme un rationaliste pur. Mais ce beau mouvement fut comprimé par la persécution des musulmans rigides. Le nombre et l’influence des philosophes ne furent pas assez grands pour emporter la balance, comme cela a eu lieu en Europe.

(21) Voir l’admirable peinture de la réaction dévote du commencement du xviie siècle, dans Michelet, Du prêtre, de la femme, de la famille, chap. i, et en général tout ce livre, peinture si vive et si originale des faits les plus délicats et les plus indescriptibles. Il y a là tout un monde que personne n’ose dire. Voir encore la fine analyse psychologique que M. Sainte-Beuve a si malheureusement intitulée Volupté. Ne pas oublier Das ewig Weibliche à la fin de Faust, et Méphistophélès vaincu par des roses tout en blasphémant, et l’admirable épisode de Dorothée et d’Agnès dans la Pucelle :


Et se sentant quelque componction,
Elle comptait s’en aller à confesse ;
Car de l’amour à la dévotion
Il n’est qu’un pas ; l’une et l’autre est faiblesse.


Une rigoureuse analyse psychologique classerait l’instinct religieux inné chez les femmes dans la même catégorie que l’instinct sexuel. Tout cela apparaît pour la première fois au moyen âge d’une manière caractérisée dans les lollards, béguards, fraticelles, pauvres de Lyon, humiliati, flagellants, etc.