Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/524

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(22) Cette opposition produit quelquefois d’étranges effets. Certaines faiblesses des plus fiers rationalistes ne s’expliquent que par là. Il vient de moments de dégel, où tout se couvre d’humidité, devient flasque et sans tenue. J’ai souvent songé que ce type (haute fierté intellectuelle, jointe aux faiblesses les plus féminines) pourrait servir de sujet à un roman psychologique. Faust ne correspond qu’à une partie de ce que j’imagine : Les anciens, par une de ces distinctions que bannit notre physique, parce qu’elles ne s’appuient pas sur des faits assez précis, et qui pourtant avaient tant de vérité, distinguaient chaleur sèche et chaleur humide. Cette distinction est juste, du moins en psychologie.

(23) J’ai entendu un homme, excellent du reste, se réjouir du choléra ; car, disait-il, ces calamités opèrent un retour aux idées religieuses. Cela, du reste, est conséquent. Qu’importe, pourvu que les âmes soient sauvées ?

(24) Au fond, les différences entre les sectes religieuses ne sont pas moindres. Mais elles ne frappent pas autant, parce qu’on ne les voit pas exister simultanément dans un même pays, tandis que la philosophie est toujours envisagée synoptiquement et comme solidaire dans toutes ses parties. Aussi dans les pays où plusieurs sectes sont en présence, le scepticisme religieux ne tarde pas à se produire.

(25) Dans l’impossibilité d’exposer avec précision de telles idées, je renvoie à l’hymne où, dès ma première jeunesse, je cherchai à exprimer ma pensée religieuse, à la fin du volume. (On l’a supprimée.)

(26) Soient, par exemple, les preuves de l’existence de Dieu de Descartes. Jamais esprit de quelque finesse ne les a prises au sérieux, et je plaindrais fort celui dont la foi religieuse ne serait étayée que sur ce scolastique échafaudage. Et pourtant elles sont vraies au fond, toutes également vraies, mais étroitement exprimées.

(27) C’est en cela qu’excelle l’Allemagne. Ses aperçus sont complètement individuels et intraduisibles. Si l’on en change tant soit peu le tour, ils disparaissent, comme des essences qui s’évaporent si on les fait passer d’un vase à un autre. Tel ouvrage allemand de premier ordre est lourd et insupportable en français ; ôtez à l’eau de rose sa senteur, elle ne vaut pas de l’eau ordinaire. Soit, par exemple, l’admirable introduction de G. de Humboldt à son essai sur le kawi, où se trouvent réunies les plus fines vues de l’Allemagne sur la science des langues, cet essai serait traduit en français qu’il n’aurait aucun sens et paraîtrait d’une insigne platitude : et c’est là ce qui en fait l’éloge ; cela prouve la délicatesse du trait.