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phète. On prétendait qu’il avait été enlevé au ciel sur une colonne de feu, etc.

(124) Il est étrange que l’Europe ait adopté pour base de sa vie spirituelle les livres qui sont les moins faits pour elle, la littérature des Hébreux, ouvrage d’une autre race et d’un autre esprit. Aussi ne se les accommode-t-elle qu’à force de contresens. Les Védas auraient beaucoup plus de droit que la Bible à être le livre sacré de l’Europe. Ceux-là sont bien l’œuvre de nos pères.

(125) En Orient, un livre ancien est toujours inspiré, quel qu’en soit le contenu. Il n’y a pas d’autre criterium pour la canonicité d’un livre. Quant aux époques primitives, tout livre, par cela seul qu’il était livre écrit, était sacré. Eh quoi ! ne parlait-il pas des choses divines ? Son auteur n’était-il pas un prêtre, en relation avec les dieux ? Ce n’est que plus tard qu’on arrive à concevoir le livre profane, œuvre individuelle, bonne ou mauvaise, de tel ou tel.

(126) J’entendais, il y a quelques mois, un orateur admiré classer ainsi les religions du haut de la chaire de Notre-Dame il y a trois religions : le christianisme, le mahométisme et le paganisme. C’est exactement comme si l’on classifiait ainsi le règle animal il y a trois sortes d’animaux les hommes, les chevaux et les plantes.

(127) Je ne parle pas de la Chine. Cette curieuse nation est de toutes peut-être la moins religieuse et la moins supernaturaliste. Ses livres sacrés ne sont que des livres classiques, à peu près ce que les anciens sont pour nous, ou du moins ce qu’ils étaient pour nos humanistes. Là est peut-être le secret de sa médiocrité. Il est beau, non de rêver toujours, comme l’Inde, mais d’avoir rêvé dans son enfance : il en reste un beau parfum durant la veille, et toute une tradition de poésie, qui défraie l’âge où l’on n’imagine plus.

(128) La religion des Sémites nomades est extrêmement simple. C’est le culte patriarcal du Dieu unique, pur, chaste, sans symboles, sans mystères, sans orgies. Tous ces grands systèmes de symbolisme assyrien, persan, égyptien, ne sont pas d’origine sémitique, et révèlent un tout autre esprit, bien plus profond, plus hardi, plus chercheur. Ce n’est qu’au vie siècle environ avant l’ère chrétienne que ces sortes d’idées s’introduisirent chez les Sémites. Il y a un monde entre le Dieu monarque et solitaire de Job, d’Abraham, des Arabes, et ces grands poèmes panthéistes que nous révèlent les monuments de l’Égypte et de l’Assyrie. Il paraît, du reste, que le culte primitif de l’Égypte se rapprochait de la simplicité sémitique, et que le symbolisme polythéiste y fut une importation étrangère.