Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/544

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élégiaque, didactique, épique y coexistaient dans une confuse harmonie. Puis est venue l’époque de la distinction des genres, durant laquelle on eût blâmé l’introduction du lyrisme dans le drame ou de l’élégie dans l’épopée. Puis la forme supérieure dans la grande poésie de Gœthe, de Byron, de Lamartine, admettant simultanément tous les genres. Faust, Don Juan, Jocelyn ne rentrent dans aucune catégorie littéraire.

(137) Ce tour, particulier au génie allemand, explique la marche singulière des idées en ce pays depuis un quart de siècle environ, et comment, après les hautes et idéales spéculations de là grande école, l’Allemagne fait maintenant son xviiie siècle à la française ; dure, acariâtre, négative, moqueuse, dominée par l’instinct du fini. Pour l’Allemagne, Voltaire est venu après Herder, Kant, Fichte, Hegel. Les écrits de la jeune école sont nets, cassants, réels, matérialistes. Ils nient hardiment l’au-delà (das Jenseits), c’est-à-dire le suprasensible, le religieux sous toutes ses formes, déclarant que c’est abuser l’homme que de le faire vivre dans ce monde fantastique. Voilà ce qui a succédé au développement littéraire le plus idéaliste que présente l’histoire de l’esprit humain, et cela, non par une déduction logique ou une conséquence nécessaire, mais par contradiction réfléchie et en vertu de cette vue prédécidée la grande école a été idéaliste ; nous allons réagir vers le réel.

(138) Les langues présentent un développement analogue. Prenons une famille de langues, qui renferme plusieurs dialectes, la famille sémitique par exemple. Certains linguistes supposent qu’à l’origine, il y avait une seule langue sémitique, dont tous les dialectes sont dérivés par altération ; d’autres supposent tous les dialectes également primitifs. Le vrai, ce semble, est qu’à l’origine les divers caractères qui, en se groupant, ont formé plus tard le syriaque, l’hébreu, etc., existaient syncrétiquement et sans constituer encore des dialectes indépendants. Ainsi : 1° existence confuse et simultanée des variétés dialectales ; 2° existence isolée des dialectes ; 3° fusion des dialectes en une unité plus étendue.

(139) Le divin Sphérus d’EmpédocIe, où tout existe d’abord à l’état syncrétique sous l’empire de la φιλία, avant de passer sous celui de la Discorde, νεῖκος (analyse), offre une belle image de cette grande loi de l’évolution divine.

(140) Le peuple, p. 251.

(141) Le plus curieux exemple de cela, c’est M. de Talleyrand, se convertissant en ses derniers jours. Il avait été assez fin pour jouer tous les diplomates de l’Europe, assez hardi pour célébrer la messe de la liberté et se constituer schismatique ; mais, quand il s’agit d’une