Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/545

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question théorique, il est un esprit faible, et trouve tout simple que Nabuchodonosor ait été changé en bête, que l’âne de Balaam ait conversé avec son maitre, et que les diplomates du concile de Trente aient étê assistés du Saint-Esprit. Talleyrand, me direz-vous, n’admit point tout cela. Non ; mais il aurait dû l’admettre, s’il avait été conséquent.

(142) Fichte, qu’en France, bien entendu, on eût appelé un impie, faisait tous les soirs la prière en famille ; puis on chantait quelques versets avec accompagnement de piano ; puis le philosophe faisait à la famille une petite homélie sur quelques pages de l’Évangile de saint Jean, et, selon l’occasion, y ajoutait des paroles de consolation ou de pieuses exhortations.

(143) Un chiffonnier passant devant les Tuileries peut-il dire : C’est là mon œuvre ? Pouvons-nous concevoir le sentiment des artisans, des cultivateurs de l’Attique devant ces monuments qui leur appartenaient, qu’ils comprenaient, qui étaient bien réellement l’expression de leur pensée ?

(144) C’est un des bienfaits de l’empire d’avoir donné au peuple des souvenirs héroïques et un nom facile à comprendre et a idolâtrer. Napoléon, si franchement adopté par l’imagination populaire, en lui offrant un grand sujet d’enthousiasme national, aura puissamment contribué à l’exaltation intellectuelle des classes ignorantes, et est devenu pour elles ce qu’Homère était pour la Grèce, l’initiateur des grandes choses, celui qui fait tressaillir la fibre et étinceler l’œil.

(145) Il va sans dire que cette excuse, si c’en est une, ne s’applique jamais aux imbéciles plagiaires, qui viennent à froid imiter les fureurs d’un autre âge. Je suis bien aise de dire une fois pour toutes que celui qui me supposerait des sympathies avec aucun parti politique, mais surtout avec celui-là, méconnaîtrait, bien profondément ma pensée. Je suis pour la France et la raison, voilà tout.

(146) Comment, au milieu du xixe siècle, un membre de l’Académie des sciences morales et politiques a-t-il pu écrire des axiomes comme ceux-ci « La société n’est pas les hommes, elle n’est que leur union. Les hommes vivent pour eux et non pour cette chimère, cette vaine abstraction que l’on nomme humanité… Le destin d’un État libre ne saurait être subordonné a aucun autre destin. » (L’homme et la société, p. 53, 81). Cela, cinquante ans après que Herder avait dit « L’homme, quand il le voudrait, ne pourrait vivre pour lui seul. L’influence bienfaisante de l’homme sur ses semblables est le but de toute société humaine. Outre le fond individuel, que chacun fait valoir, il y a le cens du capital, qui, s’accumulant toujours, forme le fonds commun de