Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

un respect que ne pouvaient connaître ceux qui ne faisaient de la science que par un côté d’eux-mêmes. Il faut être conséquent : si faire son salut est la seule chose nécessaire, on se prêtera à tout le reste comme à un hors d’œuvre, on n’y sera point à son aise ; si on y met trop de goût, on se le reprochera comme une faiblesse, on ne sera profane qu’à demi, on fera comme saint Augustin et Alcuin, qui s’accusent de trop aimer Virgile. Mon Dieu ! ils ne sont pas si coupables qu’ils le pensent. La nature humaine, plus forte au fond que tous les systèmes religieux, sait trouver des secrets pour reprendre sa revanche. L’islamisme, par la plus flagrante contradiction, n’a-t-il pas vu dans son sein un développement de science purement rationaliste ? Képler, Newton, Descartes et la plupart des fondateurs de la science moderne étaient des croyants. Étrange illusion, qui prouve au moins la bonne foi de ceux qui entreprirent cette œuvre, et plus encore la fatalité qui entraîne l’esprit humain engagé dans les voies du rationalisme à une rupture absolue, que d’abord il repousse, avec toute religion positive ! Chez quelques-uns de ces grands hommes, cela s’expliquait par une vue bornée de la science et de son objet ; chez d’autres, comme chez Descartes (17), qui prétendait bien tirer de la raison les vérités essentielles à l’homme, il y avait superfétation manifeste, emploi de deux rouages pour la même fin. — Je n’ai pas besoin, remarquez bien, de me poser ici en controversiste, de prouver qu’il y a contradiction entre la science et la révélation : il me suffit qu’il y ait double emploi pour prouver ma thèse actuelle. Dans un système révélé, la science n’a plus qu’une valeur très secondaire et ne mérite pas qu’on y consacre sa vie : car ce qui seul en fait le prix est donné d’ailleurs d’une façon plus