Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/69

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éminente. Nul ne peut servir deux maîtres, ni adorer un double idéal.

Pour moi, je le dirai avec cette franchise qu’on voudra bien, j’espère, me reconnaître (qui n’est pas franc à vingt-cinq ans est un misérable), je ne conçois la haute science, la science comprenant son but et sa fin, qu’en dehors de toute croyance surnaturelle. C’est l’amour pur de la science qui m’a fait briser les liens de toute croyance révélée, et j’ai senti que, le jour où je me suis proclamé sans autre maître que la raison, j’ai posé la condition de la science et de la philosophie. Si une âme religieuse en lisant ces lignes pouvait s’imaginer que j’insulte : Oh ! non, lui dirais-je, je suis votre frère. Moi, insulter quelque chose qui est de l’âme ! C’est parce que je suis sérieux et que je traite sérieusement les choses religieuses que je parle de la sorte. Si comme tant d’autres je ne voyais dans la religion qu’une machine, une digue, un utile préjugé, je prendrais ce demi-ton insaisissable qui n’est au fond qu’indifférence et légèreté. Mais comme je crois à la vérité, comme je crois que le christianisme est une chose grave et considérable, j’ai quasi l’air controversiste, et certains délicats vont crier, j’en suis sûr, à la renaissance du voltairianisme. Je suis bien aise de le dire une fois pour toutes si je porte dans les discussions religieuses une franchise et une lourdeur qui ne sont plus de mode, c’est que je n’aborde jamais les choses de l’âme qu’avec un profond respect. Vous n’avez pas, messieurs, de plus dangereux ennemis que ces cauteleux adversaires à demi-mot. Le siècle n’est plus controversiste parce qu’au fond il est incrédule et frivole. Si donc je suis plus franc et si mes attaques sont plus à bout portant, sachez-le, c’est que je suis plus respectueux et plus soucieux de la vérité intrinsèque