Page:Renan - La Vie de Jésus.djvu/193

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nos petits programmes de bourgeois sensés à ces mouvements extraordinaires si fort au-dessus de notre taille. Continuons d’admirer la « morale de l’Évangile ; » supprimons dans nos instructions religieuses la chimère qui en fut l’âme ; mais ne croyons pas qu’avec les simples idées de bonheur ou de moralité individuelle on remue le monde. L’idée de Jésus fut bien plus profonde ; ce fut l’idée la plus révolutionnaire qui soit jamais éclose dans un cerveau humain ; elle doit être prise dans son ensemble, et non avec ces suppressions timides qui en retranchent justement ce qui l’a rendue efficace pour la régénération de l’humanité.

Au fond, l’idéal est toujours une utopie. Quand nous voulons aujourd’hui représenter le Christ de la conscience moderne, le consolateur, le juge des temps nouveaux, que faisons-nous ? Ce que fit Jésus lui-même il y a 1830 ans. Nous supposons les conditions du monde réel tout autres qu’elles ne sont ; nous représentons un libérateur moral brisant sans armes les fers du nègre, améliorant la condition du prolétaire, délivrant les nations opprimées. Nous oublions que cela suppose le monde renversé, le climat de la Virginie et celui du Congo modifiés, le sang et la race de millions d’hommes changés, nos complications sociales ramenées à une simplicité chimérique, les