Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/229

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celle qui dans ce moment pleure si douloureusement avec toi, ne mérite-t-elle pas aussi que tu relèves ton courage en lui donnant un souvenir ? Ranime-toi donc, mon Ernest, en pensant que tu n’es pas seul au monde, que tu as pour partager toutes tes peines, pour les alléger autant qu’elle le pourra, une sœur que le sort n’a pas épargnée et dont tu seras toujours la plus chère consolation. J’ai joué en tout ceci le triste rôle d’une Cassandre : j’ai prévu, j’ai prédit la cruelle incertitude qui t’accable ; nul n’a voulu me croire, et seule je ne pouvais résister.

Non, mon ami, non, l’opinion, quoique bien aveugle et bien injuste, n’est pas assez cruelle pour attacher aux démarches d’un enfant la responsabilité qui arrachait de ton cœur un cri si douloureux. J’ai connu des hommes honorables et honorés qui avaient reculé devant les liens qu’on te propose, et personne ne songeait à leur faire un crime d’une délicatesse de conscience qui n’est malheureusement que trop rare. Quelle âme honnête oserait le faire aujourd’hui, quand on voit, dans l’arène des partis et des que-