Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/74

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fort doucement à bord. Le soir, quand le soleil fut tombé, nous montâmes à Amschit. Nos bons amis, qui croyaient ne plus nous revoir, nous reçurent à bras ouverts. Elle était très contente. Après le dîner, nous passâmes une partie de la nuit sur la terrasse de la maison de Zakhia. Le ciel était admirable ; je lui rappelai ce passage du livre de Job où le vieux patriarche se vante, comme d’un rare mérite, de n’avoir jamais porté la main à sa bouche en signe d’adoration, quand il voyait l’armée des étoiles dans sa splendeur et la lune s’avancer avec majesté. Tout l’esprit des cultes antiques de la Syrie semblait ressusciter devant nous. Byblos était à nos pieds ; vers le sud, dans la région sacrée du Liban, se dessinaient les dentelures bizarres des rochers et des forêts du Djébel-Mousa, où la légende plaçait la mort d’Adonis ; la mer, se courbant au nord vers Botrys, semblait nous entourer de deux côtés. Ce jour fut le dernier jour pleinement heureux de ma vie ; désormais, toute joie me reportera sur le passé et me rappellera celle qui n’est plus là pour la partager.