Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/78

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ment bien précis de la gravité de notre mal. Je décidai que nous partirions pour la France le jeudi suivant : « Oui, oui, partons, dit-elle avec une pleine confiance. — Oh ! malheureuse, dit-elle à un autre moment, je vois que je suis destinée à souffrir beaucoup. » Un de ces deux jours, vers le moment du soleil couchant, elle put encore aller d’une chambre à l’autre. Elle s’étendit sur le canapé du salon où je couchais et travaillais d’ordinaire. Les volets étaient ouverts, nos yeux tournés vers le Djébel-Mousa. Elle eut a ce moment un pressentiment de sa fin, mais non pas d’une fin si prochaine. Ses yeux se mouillèrent de larmes ; sa figure, exténuée de souffrances, reprit un peu de couleur, et elle jeta avec moi sur sa vie passée un regard triste et doux. « Je ferai mon testament, dit-elle, tu seras mon légataire ; je laisse peu de chose, quelque chose cependant ; de mes épargnes je veux que tu fasses un caveau de famille ; il faut nous rapprocher, que nous soyons près les uns des autres. La petite Ernestine doit revenir avec nous. » Puis elle fit un calcul dans son esprit, marqua du doigt la disposi-