Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/79

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tion intérieure et sembla vouloir douze places. Elle me parla en pleurant du petit Ary, de notre vieille mère. Elle m’indiqua ce que je devais donner à sa nièce ; elle chercha quelque chose qui pût plaire à Cornélie, et elle pensa à un petit livre italien (les Fioretti de saint François) que M. Berthelot lui avait donné : « Je t’ai beaucoup aimé, me dit-elle ensuite ; quelquefois mon affection t’a fait souffrir ; j’ai été injuste, exclusive ; mais c’est que je t’ai aimé comme on n’aime plus, comme on ne doit peut-être pas aimer. » Je fondais en larmes ; je lui parlai du retour ; je la ramenais au petit Ary, sachant que cela l’émouvait doucement. Elle abondait dans ce sens, et s’attachait aux circonstances qui la touchaient le plus. Elle rappela encore le souvenir si cher de notre père. Cet éclair fut le dernier pour nous deux. Nous étions dans l’intervalle de deux accès de fièvre pernicieuse ; l’accès final n’était plus qu’à quelques heures. En dehors des moments où venait le médecin, nous étions seuls, entre les mains de nos domestiques arabes et des gens du village, toutes les autres personnes de la mission étant parties ou occupées ailleurs.