Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/95

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d’un éloignement de cent vingt lieues nous faisait trembler, celui enfin où nous sommes séparés, non plus par quelques provinces, mais par des royaumes et des peuples. Voilà la vie humaine. Encore si tout cela pouvait se terminer au bonheur, qui pour nous est d’être réunis, nous serions trop heureux. Si nous n’y arrivons pas, ce ne sera pas ta faute, ma bonne Henriette ; d’ailleurs, j’en ai la douce, la ferme espérance. Je sais bien que jamais tu ne te résoudras à embrasser un genre de vie oisif, sans nerf, sans ressort : oh ! non, je te connais trop bien pour croire que jamais cela soit de ton goût (non plus du reste que du mien). Ce n’est pas là ce que j’entends. Mais aussi je crois que tout est fade, vain, creux, sans cette douceur de la vie qui ne se trouve que dans l’amitié, laquelle n’est jamais aussi solide, aussi assurée, qu’entre ceux que le sang a unis. Voilà donc, ma chère Henriette, le terme que j’aime à me figurer après les travaux. Toujours dans l’avenir : nous sommes incorrigibles : nous ne sommes jamais dans le présent, et nous ne faisons qu’aspirer après un bonheur à venir. Et après