Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/96

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tout, nous n’avons pas tort ; car ce présent est si triste, si misérable, qu’il est bon au moins d’en alléger le fardeau par la vue d’un avenir qu’on se fait toujours beau. Ah ! que Pascal avait raison de dire : Nous ne vivons pas, mais nous espérons de vivre. L’espérance en effet est notre vie et noire seule vie.

Je viens presque, ma chère Henriette, de te faire là une thèse de philosophie : elle eût pu peut-être être mieux placée. Mais j’aime à m’entretenir avec toi de ce qui m’occupe, et la philosophie est maintenant mon étude, je dirai même mon étude de goût. Grâce aux préjugés qu’on nous donnait en rhétorique, je croyais en y entrant, n’y trouver qu’une étude ennuyeuse et pénible, hérissée d’abstractions, et aussi barbare en sa doctrine qu’elle l’est quelquefois en sa langue. Mais certes, c’est un préjugé dont je suis bien revenu, et tant s’en faut que je regrette d’avoir échangé la rhétorique pour la philosophie, que pour rien au monde, je ne voudrais désormais retourner aux déclamations de la rhétorique. C’est la science des mots opposée à celle des choses. Il est vrai que l’imagination qui faisait