Page:Renan - Ma soeur Henriette, Calmann-Levy, 1895.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

crifier à mon avancement la moindre partie de mon indépendance. Les malheurs qui frappèrent inopinément notre frère et entraînèrent la perte de toutes nos économies ne l’ébranlèrent pas. Elle eût repris le chemin de l’étranger, si cela eût été nécessaire au développement régulier de ma vie. Mon Dieu ! ai-je fait tout ce qui dépendait de moi pour lui procurer le bonheur ? Avec quelle amertume je me reproche maintenant de n’avoir pas été avec elle assez expansif, de ne pas lui avoir assez dit combien je l’aimais, d’avoir trop cédé à mon penchant vers la concentration taciturne, de n’avoir pas mis à usure chaque heure qui m’était laissée ! Oh ! si je pouvais retrouver un seul de ces moments que je n’ai point passés à la rendre heureuse !… Mais je prends à témoin son âme élue qu’elle fut toujours au fond de mon cœur, qu’elle régna sur toute ma vie morale