Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/181

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était considérable. Là, sa doctrine s’altéra de plus en plus. Détaché de toutes les Églises, il resta dans son pays ce qu’il était déjà en Italie, une sorte de chrétien solitaire, n’appartenant à aucune secte, bien que se rapprochant des montanistes par l’ascétisme, des marcionites par la doctrine et l’exégèse. Son ardeur pour le travail était prodigieuse ; sa tête ardente ne pouvait se reposer ; la Bible, qu’il lisait sans cesse, lui inspirait les idées les plus contradictoires ; il écrivait à ce sujet des livres sans fin.

Après avoir été, dans son apologie, l’admirateur fanatique des Hébreux contre les Grecs, il tomba dans l’extrême opposé. L’exagération des idées de saint Paul, qui avait conduit Marcion à maudire la Bible juive, amena Tatien à sacrifier entièrement l’Ancien Testament au Nouveau. Comme Apelle et la plupart des gnostiques, Tatien admit un Dieu créateur subordonné au Dieu suprême. Dans l’acte de la création, en prononçant des phrases comme celle-ci : « Que la lumière soit ! » le créateur, selon lui, procéda, non par commandement, mais par voie de prière[1]. La Loi fut l’œuvre du Dieu créateur ; seul, l’Évangile fut l’œuvre du Dieu suprême. Un besoin exagéré de perfection morale faisait que,

  1. Clém. d’Alex., Eclogæ ex script. proph., 38 ; Origène, De orat., 24.