Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/25

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perdit une partie de cet attrait qui la rend si dangereuse. On arriva au trône sans l’avoir brigué, mais aussi sans le devoir à sa naissance ni à une sorte de droit abstrait ; on y arriva désabusé, ennuyé des hommes, préparé de longue main. L’empire fut un fardeau, qu’on accepta à son heure, sans que l’on songeât à devancer cette heure. Marc-Aurèle y fut désigné si jeune, que l’idée de régner n’eut guère chez lui de commencement et n’exerça pas sur son esprit un moment de séduction. À huit ans, quand il était déjà præsul des prêtres saliens, Adrien remarqua ce doux enfant triste et l’aima pour son bon naturel, sa docilité, son incapacité de mentir. À dix-huit ans, l’empire lui était assuré. Il l’attendit patiemment durant vingt-deux années. Le soir où Antonin, se sentant mourir, fit porter dans la chambre de son héritier la statue de la Fortune, il n’y eut pour celui-ci ni surprise ni joie. Il était depuis longtemps blasé sur toutes les joies sans les avoir goûtées ; il en avait vu, par la profondeur de sa philosophie, l’absolue vanité.

Sa jeunesse avait été calme et douce[1], partagée entre les plaisirs de la vie à la campagne, les exer-

  1. « Fuit a prima infantia gravis. » Capitolin, Ant. le Phil., 2. « Adeo ut, in infantia quoque, vultum nec ex gaudio nec ex mœrore mutaret. » Eutrope, VIII, 11 ; Galien, De libris propriis, 2.