Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

campé sur les bords du Gran, au milieu des plaines monotones de la Hongrie[1], il écrivit les plus belles pages du livre exquis qui nous a révélé son âme tout entière. Ce qui coûtait le plus à Marc-Aurèle dans ces lointaines guerres, c’était d’être privé de sa compagnie ordinaire de savants et de philosophes. Presque tous avaient reculé devant les fatigues et étaient restés à Rome[2]. Occupé tout le jour aux exercices militaires, il passait les soirées dans sa tente, seul avec lui-même. Là, il se débarrassait de la contrainte que ses devoirs lui imposaient ; il faisait son examen de conscience et songeait à l’inutilité de la lutte qu’il soutenait vaillamment. Sceptique sur la guerre, même en la faisant, il se détachait de tout, et, se plongeant dans la contemplation de l’universelle vanité, il doutait de la légitimité de ses propres victoires : « L’araignée est fière de prendre une mouche, écrivait-il ; tel est fier de prendre un levraut ; tel, de prendre une sardine ; tel, de prendre des sangliers ; tel, des Sarmates. Au point de vue des principes, tous brigands[3]. » Les Entretiens d’Épictète, par Arrien, étaient le livre préféré de l’empe-

  1. Pensées, livre Ier, fin.
  2. Galien, De prænotione, 1 ; De libris propriis, 2 ; Philostr., Sophist., II, v, 3.
  3. Pensées, X, 10.