Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/513

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

syriens inaugurent une largeur d’idées et une tolérance inconnues jusque-là. Ces Syriennes d’Émèse, belles, intelligentes, téméraires jusqu’à l’utopie, Julia Domna, Julia Mæsa, Julia Mammæa, Julia Soémie, ne sont retenues par aucune tradition ni convenance sociale. Elles osent ce que jamais Romaine n’avait osé ; elles entrent au Sénat, y délibèrent, gouvernent effectivement l’empire, rêvent de Sémiramis et de Nitocris[1]. Voilà ce que n’eût pas fait une Faustine, malgré sa légèreté ; elle eût été arrêtée par le tact, par le sentiment du ridicule, par les règles de la bonne société romaine. Les Syriennes ne reculent devant rien. Elles ont un sénat de femmes, qui édicte toutes les extravagances[2]. Le culte romain leur paraît froid et insignifiant. N’y étant attachées par aucune raison de famille, et leur imagination se trouvant plus en harmonie avec le christianisme qu’avec le paganisme italien, ces femmes se complaisent en des récits de voyages de dieux sur la terre ; Philostrate les enchante avec son Apollonius ; peut-être eurent-elles avec le christianisme une secrète affiliation. Pendant ce temps, les dernières dames respectables de l’ancienne société, comme cette vieille fille de Marc-

  1. Dion Cassius, LXXVIII, 23 ; Hérodien, V, 3 et suiv. ; VI, 1 et suiv. ; Lampride, Héliog., 2, 4, 14.
  2. Lampride, Héliog., 4 ; Vopiscus, Aurélien, 49.