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Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/628

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l’esclave capable de vertu, héroïque dans le martyre[1], égal de son maître et peut-être son supérieur au point de vue du royaume de Dieu, la foi nouvelle rendait l’esclavage impossible. Donner une valeur morale à l’esclave, c’est supprimer l’esclavage. Les réunions à l’église, à elles seules, eussent suffi pour ruiner cette cruelle institution. L’Antiquité n’avait conservé l’esclavage qu’en excluant les esclaves des cultes patriotiques[2]. S’ils avaient sacrifié avec leurs maîtres, ils se seraient relevés moralement. La fréquentation de l’église était la plus parfaite leçon d’égalité religieuse. Que dire de l’eucharistie, du martyre subi en commun ? Du moment que l’esclave a la même religion que son maître, prie dans le même temple que lui, l’esclavage est bien près de finir[3]. Les sentiments de Blandine et de sa « maîtresse charnelle »[4] sont ceux d’une mère et d’une fille. À l’église, le maître et l’esclave s’appelaient frères[5]. Même sur la matière la plus délicate, celle du mariage[6], on voyait des mira-

  1. Se rappeler Blandine, Félicité, Potamiène.
  2. Caton. De re rustica, 143.
  3. On peut objecter l’esclavage musulman ; mais cet esclavage est plutôt une institution tutélaire qu’une vraie servitude.
  4. Σαρκίνη δέσποινα. Lettre des Églises, dans Eus., V, i, 18.
  5. Lactance, Div. inst., V, 16.
  6. De Rossi, Bull., 1866, p. 23, 35 et suiv. ; Tert., Ad ux., II, 8 ; Philos., IX, 11.