Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/70

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Mais ce n’était pas la faute de l’empereur. Il faisait bien ce qu’il pouvait. L’objet qu’il avait en vue, l’amélioration des hommes, demandait des siècles. Ces siècles, le christianisme les avait devant lui ; l’empire ne les avait pas.


La cause universelle, disait le sage empereur, est un torrent qui entraîne toute chose. Quels chétifs politiques que ces petits hommes qui prétendent régler les affaires sur les maximes de la philosophie ! Ce sont des bambins dont on débarbouille le nez avec un mouchoir. Homme, que veux-tu ? Fais ce que réclame présentement la nature. Va de l’avant, si tu peux et ne t’inquiète pas de savoir si quelqu’un s’occupe de ce que tu fais. N’espère pas qu’il y ait jamais une république de Platon ; qu’il te suffise d’améliorer quelque peu les choses, et ne regarde pas ce résultat comme un succès de médiocre importance. Comment, en effet, changer les dispositions intérieures des hommes ? Et, sans ce changement dans leurs pensées, qu’aurais-tu autre chose que des esclaves attelés au joug, des gens affectant une persuasion hypocrite ? Va donc, et parle-moi d’Alexandre, de Philippe, de Démétrius de Phalère. S’ils n’ont joué qu’un rôle d’acteurs tragiques, personne ne m’a condamné à les imiter. L’œuvre de la philosophie est chose simple et modeste : ne m’entraîne donc point dans une morgue pleine de prétention[1].

  1. Pensées, IX, 29.