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Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/115

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races. Ici, au contraire, la verve, l’élan primitif, l’abondance facile ont survécu à toutes les aventures hisloriques et s’épanouissent encore sous nos yeux.

Une aisance surprenante, parfois un peu de présomption, sont le fruit du haut sentiment que le Sicilien a de sa noblesse. L’idée qu’il est inférieur à qui que ce soit ne lui vient jamais. Les mièvreries que nous appelons réserve et discrétion sont chez nous le reste d’une longue inégalité sociale. Le Grec non plus ne connaît pas de pareilles timidités. D’abord je fus surpris de ces lettres innombrables, de ces cosmogonies, de ces traités « de l’univers », « de la nature des choses », de ces projets de réforme universelle, que je recevais chaque jour. Il est rare chez nous qu’un inconnu vienne vous dire : « Votre philosophie est la mienne, » ou bien : « Vous êtes du petit nombre de ceux qui sont arrivés au juste concept du créé. « Puis on se souvient qu’on est en Grèce, que les choses se passaient anisi du temps d’Empédocle, et que c’est par suite de cet éveil que l’humanité s’est engagée à la recherche des causes. La Sicile est peut-être le pays où le goût de la spéculation est le plus naturel. Si quelque chose peut encore nous donner l’idée d’un pays où, comme en Grèce, le goût du beau était le fait de tout un peuple, et où la différence de culture entre les classes inférieures et les autres classes n’existait qu’en degré, c’est la Sicile. Ce qui nous paraît naïf est simplement antique. La joie avec laquelle la visite du congrès était saluée dans les campagnes formait un spectacle qu’aucun pays de l’Europe n’eût offert. À Sélinonte, sur un rivage entièrement désert, des barques contenant des centaines de personnes accourues de dix lieues à la ronde