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Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/123

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magnifique, que l’on eût dit intact, nous apparut à l’horizon, noyé dans les rayons du soleil. C’était Ségeste. Nous laissâmes les voitures sur les bords du Crimissus, et en une demi-heure de cheval nous atteignîmes le temple, situé au pied de la ville antique qui, par son alliance avec les Romains, joua dans l’histoire de la Sicile un rôle si décisif.

Pour l’archéologue, le temple de Ségeste a des problèmes singuliers. Il semble n’avoir pas été achevé. Sans doute, la destruction de la ville par les Carthaginois, en 409 avant Jésus-Christ, aura suspendu l’ouvrage. Les cannelures des colonnes ne sont pas faites ; les superfluités ne sont pas abattues ; la cella semble n’avoir jamais existé. Pour l’artiste, le temple de Ségeste est un des monuments qui ont le plus d’effet. La colonnade, l’architrave, les triglyphes, les métopes non sculptées sont tout à fait intacts. Les chapiteaux doriques ont une mollesse, une flexibilité de courbe qui n’ont pas été surpassées. La couleur et l’aspect spongieux de la pierre, la certitude que la main d’aucun restaurateur n’a ici passé entre l’antiquité et nous, font que l’on reste pensif durant des heures à l’ombre de ces colonnes. La ville antique a disparu, excepté le théâtre. Rome ne rendit à son alliée qu’une existence éphémère, et la fable d’une origine troyenne ne suffit pas pour la préserver de l’abandon.

Ségeste est un désert ; mais Calatafimi et toutes les localités environnantes y étaient accourues pour voir le ministre et les scienziati. Sous une tente dressée avec goût, nous trouvâmes un déjeuner excellent. On but aux vieux héros de Ségeste, à la paix et à la concorde, qu’ils ne surent pas fonder ; aux morts de 1860, qui, plus