Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je revis Éryx de la mer, et je saluai à distance cette petite île de Maritimo, qui me rappelait de vifs souvenirs. Lors de mon premier voyage d’Orient, je m’éveillai le second matin après le départ en face de cette petite île, rayonnante de soleil, parée de verdure par les pluies d’octobre. Cette fois je la trouvai aride, sans rosée. Un mois de différence est beaucoup en cette saison, mais quinze ans aussi sont beaucoup dans la vie. Peut-être Maritimo m’apparut ainsi


Quand’ era in parte altr’ uom da quel ch’ i’ sono.


Des parties de moi sont mortes depuis ; nous mourons, à vrai dire, par lambeaux.

Verrions-nous Sélinonte ? Telle était la question que nous nous adressions depuis que la frégate avait doublé Marsala (le cap Lilybée). Sélinonte ne saurait guère être visité que par mer. Or cette côte, dénuée de port, offre à un grand navire des difficultés extrêmes. Obligé de se tenir à une demi-lieue du rivage, il ne peut lancer ses embarcations que si la mer est sûre ; le moindre grain, le moindre caprice rend le retour des chaloupes impossible (nous avions failli en faire l’expérience à Cefalù). Le commandant ne nous laissa descendre qu’en nous avertissant que, si, pendant notre visite aux ruines, le vent s’élevait, il devait gagner Trapani et nous abandonner à notre sort. Le temps nous fut merveilleusement propice. Nous croyions aborder à un désert ; des vingtaines de barques nous attendaient ; un débarcadère, une route avaient été improvisés par les gens de Castelvetrano ; des voitures nous avaient été préparées. Sûrement les ruines eussent gagné à être visitées dans la solitude ; mais ces