Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/211

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l’hypothèse que nous combattons, c’est Faustine qui, voyant l’état de santé de son mari, inspire à Avidius son fatal projet, et essaye de le séduire par l’espérance de sa main. On oublie d’abord qu’Avidius était marié, qu’il avait des fils, que sa femme, ses fils, son gendre se compromirent avec lui[1] ; mais n’importe. Que devient l’hypothèse de la complicité, s’il est prouvé qu’Avidius eut toujours des projets de révolte et ne fit, en se laissant proclamer empereur à Antioche, que exécuter un plan depuis longtemps mûri ? Or c’est ce qu’établissent jusqu’à l’évidence des pièces fournies par Vulcatius Gallicanus, dont l’authenticité n’a jamais été contestée[2]. Lucius Vérus, longtemps avant la révolte, signalait à son collègue le danger qui résultait pour l’empire de l’ambition et de la popularité de cet homme énergique, ambition qui s’était manifestée dès le temps d’Antonin le Pieux. « Il se rit de nos lettres, dit Vérus ; il t’appelle une bonne femme (philosopham aniculam), et moi, il m’appelle un farceur (luxuriosum morionem). » Marc-Aurèle lui répondit en lui citant le mot de son bisaïeul : « Jamais on ne tue son successeur[3]. » — « Périssent les enfants de Marc-Aurèle, ajoutait-il, si Cassius mérite plus qu’eux d’être aimé, si plus qu’eux il doit servir la république ! » Avidius lui-même, dans une lettre qui nous a été conservée, tout en témoignant de son estime pour Marc-Aurèle, manifeste l’intention évidente de le rendre à une condition où il puisse s’occuper tout entier de la philosophie[4] :

  1. Dion Cassius, LXXI, 27 ; Capitolin, Ant. Phil., 26; Vulcatius, Avidius, 9, 10, 13, 14.
  2. Vie d’Avidius, 1, 2.
  3. Le mot était en réalité de Sénèque. Dion Cassius, LXI, 18.
  4. Vulc. Gall., Vie d’Avid., 14.