Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

offrait. Le khalife s’en revêtit. Bohtori avoue qu’il en eut envie, et qu’il cherchait l’occasion de quelque compliment improvisé qui lui aurait valu le don de la robe, lorsque Motéwakkil, faisant un mouvement brusque, la déchira d’un bout à l’autre, puis la prit, la roula, et, la remettant au valet, lui dit : « Va et dis à ta maîtresse qu’elle conserve ce manteau pour m’en faire un linceul après ma mort. » Bohtori, ému, se dit en lui-même la phrase que les musulmans répètent volontiers dans les moments graves : « Certes, nous appartenons à Dieu, et nous retournons à lui. »

Cependant, le khalife s’était fortement enivré. Les valets qui se tenaient à son chevet avaient coutume de le remettre sur son séant lorsque le corps s’inclinait. En ce moment, il était à peu près trois heures de nuit ; tout à coup parut Baguir, accompagné de dix Turcs. Leur visage était voilé, et les sabres qu’ils tenaient dans leur main étincelaient à la lueur des flambeaux. Tout le monde s’enfuit, Bohtori comme les autres. Seul, un chambellan fidèle lutta contre les assassins et fut percé de part en part. Baguir porta au khalife un grand coup de sabre, promptement suivi d’un autre. Les deux cadavres, roulés dans le tapis sur lequel ils avaient été frappés, furent poussés dans un coin où ils restèrent cette nuit-là et une grande partie du jour suivant. Kabiha les ensevelit ensuite dans le manteau même qui avait été déchiré par Motéwakkil.

La touchante histoire de Mahboubé (p. 281-286) montre, chez une musicienne du harem, des qualités de cœur et une culture d’esprit qu’on est surpris d’y trouver. Les additions que fait Maçoudi aux aventures des poëtes morts