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Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/304

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province écartée de leurs domaines, et les littérateurs qui ont voulu aborder ce difficile sujet ne semblent pas s’être aperçus que pour écrire une histoire dont tous les documents sont en arabe, la connaissance de cette langue était la première et la plus indispensable des conditions. L’académicien Joseph Conde est le premier et le seul qui ait annoncé la prétention d’écrire l’histoire des Arabes d’Espagne d’après les monuments originaux. Il en coûte de révéler les méfaits littéraires d’un homme dont la carrière fut honorable à beaucoup d’égards, et qui passe chez ses compatriotes pour un remarquable écrivain. Mais la saine critique oblige de dire que son ouvrage ne mérite en aucune manière la confiance qui lui a été trop facilement accordée. Conde ne possédait guère que les premiers éléments de l’arabe. Il déguisait ses légèretés sous un caquetage de faux bonhomme, affectant de traiter son sujet avec assurance en auteur qui a le droit de se mettre à l’aise avec ses documents. Aussi son histoire fourmille-t-elle de bévues et de non-sens. D’un même individu Conde en fait deux ou trois ; un homme meurt deux fois, et quelquefois avant d’être né ; des infinitifs deviennent des noms de villes ; des personnages imaginaires jouent des rôles imaginaires aussi. Se servant, par exemple, du Dictionnaire biographique d’Ibn-el-Abbar, Conde ne remarque pas que l’ordre des feuillets a été troublé par un relieur maladroit ; il brouille à tort et à travers les vies des grands hommes du ive et du ve siècle de l’hégire, et sort bravement de ce pêle-mêle à travers les coq-à-l’âne les plus réjouissants.

Tel est l’ouvrage qui a servi jusqu’ici de source presque unique à ceux qui ont écrit l’histoire des Arabes