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Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/340

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prendre part à son repas. Nous étions en ramadhan, et je lui en fis l’observation, « Dieu, » lui dis-je, « n’a-t-il pas ordonné de jeûner pendant ce mois béni ? — Je ne l’ai pas entendu, » me répondit-il. « Mais, » ajoutai-je, « c’est écrit dans le Coran. — Bah ! » fit-il, « je ne sais pas lire. »

La langue arabe enfin présente chez les nomades du Soudan le même caractère d’inaltérable pureté. Elle y a conservé tout son atticisme, tandis que partout dans les villes elle s’est promptement altérée. Ainsi se vérifie encore ce fait capital que le désert est le centre et le milieu naturel de la culture arabe. Une poésie d’une extrême recherche, une langue qui surpasse en délicatesse les idiomes les plus cultivés, des subtilités de critique littéraire telles qu’on en rencontre aux époques les plus fatiguées de réflexion, voilà ce qu’on trouve au désert, cent ans avant Mahomet, et cela chez des poètes voleurs de profession, à demi nus et affamés. Des caractères tels que ceux de Tarafa et d’Imroulkaïs, fanfarons de débauche et de bel esprit, unissant les mœurs d’un brigand à la galanterie de l’homme du monde, à un scepticisme complet, sont certes un phénomène unique dans l’histoire. Les Arabes ont toujours cru que les tribus nomades conservent le dépôt du langage choisi et des manières distinguées. Les familles nobles d’Espagne et d’Afrique faisaient faire à leurs fils un voyage littéraire parmi les Bédouins. Les chérifs de la Mecque envoient encore aujourd’hui leurs enfants passer un certain nombre d’années et, en quelque sorte, faire leur rhétorique au désert.

C’est bien à tort, en effet, qu’on envisage la vie no-