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LA SOCIÉTÉ BERBÈRE.

de la société et contraire au droit d’autrui, voilà tout ; quand le code attribué à Moïse recommande la douceur pour l’esclave, la courtoisie pour l’étranger, la fraternité pour l’Israélite, quand il frappe de peines terribles des délits moraux ou religieux, nous pouvons admirer le moraliste, mais le législateur nous paraît s’égarer. Nous éprouvons la même impression devant plusieurs articles des coutumes kabyles. Si un Kabyle abandonne sans secours un voyageur, même d’une autre tribu, le village de ce dernier ou quelquefois la tribu entière porte plainte à la djémâa du coupable, qui est souvent puni et toujours fortement réprimandé. Des muletiers qui rencontrent sur la route un homme dont le mulet s’est abattu ou ne peut plus marcher doivent se partager la charge et remettre le fardeau en lieu sûr. Que la religion et la morale fassent de telles recommandations, rien de mieux ; mais nous sommes choqués de les voir figurer dans un code : la pénalité nous paraît enlever tout mérite à la bonne action. J’en dirai autant des mesures sévères prises pour assurer la règle des mœurs. Les plus graves abus ont moins d’inconvénients qu’un système d’inquisition qui abaisse les caractères. L’homme de cœur veut à tout prix croire sa vertu désintéressée.

Là est le malentendu des théoriciens politiques qui se représentent comme libéral ce qui est le contraire d’un grand État organisé. Les petites sociétés républicaines, fondées sur les mœurs, presque sans gouvernement, sans noblesse provenant d’une conquête, sont les plus tyranniques de toutes, celles où l’individu est le plus impérieusement pris, formé, élevé, surveillé par la communauté. C’est dans de telles sociétés que fleurissent ces législations