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394 MÉLANGES D’HISTOIRE.

suffit à elle seule pour occuper une laborieuse existence. Une langue ancienne et souvent à moitié inconnue, une paléographie à part, une archéologie et une histoire péniblement déchiffrées, voilà certes plus qu’il n’en faut pour absorber tous les efforts de l’investigateur le plus patient, si d’humbles artisans n’ont antérieurement consacré de longs travaux à extraire de la carrière les matériaux qui, soumis à l’appréciation du critique, doivent servir à reconstruire l’édifice du passé.

C’est donc dans la philosophie des choses qu’il faut chercher la véritable valeur de la philologie. Là est la dignité de toute recherche particulière et des derniers détails d’érudition, qui n’ont point de sens pour les esprits superficiels et légers. À ce point de vue, il n’y a pas de recherche inutile ou frivole. Il n’est pas d’étude, quelque mince que paraisse son objet, qui n’apporte son trait de lumière à la science du tout, à la vraie philosophie des réalités. Les résultats généraux, qui seuls, il faut l’avouer, ont de la valeur par eux-mêmes, et constituent la fin de la science, ne sont possibles que par le moyen de la connaissance, et de la connaissance érudite des détails. Bien plus, les résultats généraux qui ne s’appuient pas sur la connaissance des derniers détails sont nécessairement creux et factices, au lieu que les recherches particulières, même destituées de l’esprit philosophique, peuvent être du plus grand prix, quand elles sont exactes et conduites suivant une sévère méthode. L’esprit de la science est cette communauté intellectuelle qui rattache l’un à l’autre l’érudit et le penseur, fait à chacun d’eux sa gloire méritée, et confond dans une même fin leurs rôles divers.