Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/459

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
433
LES GRAMMAIRIENS GRECS

En grammaire, on le voit, les Grecs sont fort en retard sur l’Inde. Avant l’école d’Alexandrie, ou chercherait en vain parmi eux quelques traces d’une théorie régulière du langage. Apollonius, le Panini des Grecs, après lequel le système grammatical des anciens n’a fait que d’insignifiantes acquisitions, est du IIe siècle de notre ère. — Quant aux Arabes, en grammaire comme dans toutes les branches de la réflexion philosophique, ils sont notoirement les derniers venus. Les plus anciens essais de grammaire arabe sont du VIIIe siècle : au XIIIe, cette grammaire est complète et en possession de tous les éléments essentiels qui la constituent.

Par son incomparable beauté comme par sa prodigieuse ancienneté, le système grammatical des Hindous mérite d’occuper la première place. Aucune littérature n’a rien à comparer à l’œuvre extraordinaire de Panini. Il est impossible de se figurer l’impression que produit cette création étrange, miroir fidèle d’un peuple vivant tout entier dans l’abstraction, sans un regard pour ce qui passe. L’Inde, qui, par un phénomène unique peut-être dans l’histoire de l’esprit humain, a su se faire une immense littérature sans y mêler aucun élément historique ou réel, devait être par excellence le pays de la grammaire. Il faut avouer au moins que, si l’on entend par ce mot la théorie absolue d’une langue envisagée isolément et en faisant abstraction de toutes les autres, Panini est le parfait grammairien. La forme énigmatique et concise, la profondeur du sentiment étymologique, la précision et l’élégance des aphorismes font de cette composition singulière l’essai le plus hardi qui ait jamais été tenté pour réduire le langage à des formules d’algèbre, et four-