Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/55

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toires et de leur orgueil sont notoirement antérieurs à l’an 1000 avant Jésus-Christ. Cette grande ère des dix-huitième, dix-neuvième, vingtième dynasties, des Amosis, des Aménophis, des Touthmès, des Séthi, des Ramsès, nous a laissé une masse énorme d’inscriptions, et on peut dire que nous la connaîtrions avec autant de certitude que l’état de l’empire romain au iiie siècle de notre ère, si le nombre des savants qui copient et traduisent les textes égyptiens était plus considérable. Thèbes aux cent pylônes[1] est le livre toujours ouvert de cette triomphante histoire. Je suis resté quatre jours en cette bibliothèque sans égale, guidé par M. Mariette, mon admirable « exégète[2] », d’obélisque en obélisque, de chapelle en chapelle. Sans doute une foule de réserves sont ici à faire. Plus d’une fois, à la vue de ces files de vaincus humiliés ou exterminés par le pharaon, j’ai pu regretter que les vaincus aussi n’aient pas su peindre. Le style officiel des scribes royaux me faisait involontairement songer à cette relation chinoise de l’une des dernières expéditions anglaises, où l’on voit la défaite des barbares, ceux-ci se jetant aux pieds de l’empereur pour lui demander grâce, et l’empereur, par pitié pure, leur accordant un territoire. Dans le Pentaour lui-même[3], que j’ai vu gravé en deux endroits, quelle basse flatterie, quelle éloquence de Moniteur ! quel style de journaliste officiel ! mais aussi quelle pleine sécurité sur l’authenticité

  1. Et non « aux cent portes », car la ville n’était pas fermée.
  2. On appelait « exégète », dans les temples anciens, la personne qui montrait aux étrangers les curiosités du temple, leur en racontait la légende, leur en lisait les inscriptions.
  3. Poëme sur une campagne de Ramsès II, traduit par M. de Rougé.